De retour de Naplouse et de Jérusalem
(BIBLIOthèque(s), revue de l'Association des Bibliothécaires français, n° 15, juillet 2004)
Nous avions laissé Marc Roger sur l'île de Thassos.
Depuis, il a traversé la Turquie, la Syrie (le passage des frontières fut le théâtre de longues négociations), le Liban (lieu de rencontres inoubliables). Nous le retrouvons en Israël, non sans émotion. A l'heure où vous lirez ces lignes, il aura accompli les trois quarts de son voyage sur les chemins d'Oxor et séjournera quelque part en Afrique du Nord.
Vivre d'abord, écrire après peut-être
(BIBLIOthèque(s), revue de l'Association des Bibliothécaires français, n° 14, mai 2004)
Une fois remise des émotions causées par le vol de leur véhicule, la famille Roger ne s'est pas laissée abattre. Elle a passé un mois à Sarajevo ensevelie sous la neige à partager des moments de bonheur de lecture et recueillir les mots d'un peuple meurtri. La réception d'un nouveau véhicule leur a permis de rejoindre le soleil grec. Marc nous écrit de l'île de Thassos, au large de Kavala.
Paris-Paname je visualise, après…
(BIBLIOthèque(s), revue de l'Association des Bibliothécaires français, n° 10, août 2003)
Marc Roger a commencé son périple autour de la Méditerranée le 18 octobre dernier, emmenant avec lui femme, enfant et photographe. Avant de partir, il a pérennisé par écrit ses projections de voyage, déjà supplantées par la confrontation avec le réel, qu'il relatera dans notre édition de février. Une exclusivité pour les lecteurs de BIBLIOthèque(s).
Hestrie Cloete, Sud-Africaine, vous connaissez ? Dernier prix Médicis étranger ? Des doutes sur vos connaissances concernant la rentrée littéraire ? Et de vous dire : « Aurais-je loupé quelque chef-d’œuvre de l’autre moitié du monde ? » Rien de tout cela. Hestrie Cloete, médaille d’or de saut en hauteur féminin aux derniers championnats du monde d’athlétisme de Paris. Et alors ?
Et alors, cette femme est une page de beauté pure…Au palimpseste des dieux du stade, elle écrit dans l’espace son envol qu’elle efface aussitôt. Ne vous reste que le rituel qui précède : visage concentré, catogan au plus près de son crâne, boucles fines aux oreilles, yeux fermés à l’inverse des mains à hauteur de poitrine quand, d’une giration précieuse des poignets s’enroulant l’un sur l’autre, elle répète une à une les foulées de son élan, visualise sa course par une suite d’images mentales.
Soudain, dans toute l’élégance de ses deux bras qui s’ouvrent, gracile, elle part avec des gestes de cigogne qui se pose au milieu de son nid. Et là, au bout de cette brève course, de tout son pied d’appel, elle mise la trajectoire de ses vertèbres, de son bassin et de ses membres pour rafler l’or entre le sol et le ciel. Deux mètres zéro six. La foule exulte et la gamine se retrouve à genoux sur le tapis de réception à serrer de rage joyeuse les poings, son visage enfin s’éclaire d’un superbe sourire…
Depuis trois ans que je prépare mon voyage, je vis presque les yeux fermés et visualise au jour le jour les pas, les paysages, les rencontres, le régal de l’olive enveloppée d’une louche d’ouzo, avec les mots qui vont avec, les titres des auteurs que j’aime lancés au vent des joutes et le bonheur de comparer les écritures pour dire la même phrase…
Tant de choses improbables, qu’il me faut garder le souci du tangible.
Jacques est toubib à la Mélod’hier en Seine-et-Marne; rompu au devenir de la vie qui se barre au-delà de 80 piges, il me prépare ma pharmacie pour élargir ma carte orange aux vingt pays bordant Mare Nostrum. « Pour la chiasse, mon p’tit père, n’oublie pas l’Imodium, deux gélules après chaque hiéroglyphe ! Et du Coca pas froid, battu, sans bulles… Une piqûre de serpent ? No problème : Aspivenin ou mieux, suçon de Gorgones en version générique, un peu de pitié pour la sécu ». Suit toute une liste de remèdes à régaler les Centaures, Homère n’a qu’à bien se tenir s’il préfère les médecines douces…
Bernard, quant à lui, tient table d’hôtes avec Thérèse dans une ferme auberge pas loin de Cheyne* en Haute-Loire. Bien qu’il n’ait pas un ventre à courir dans les stades, il a de l’or au bout des doigts. Le coin bouquins dans le coffre du 4x4, la galerie verrouillée sur mesure sur le toit, les vérifs du moteur, la bonne odeur de ses chèvres dans le tissu des banquettes, tout ça c’est lui, servi sur un plateau Haut-Vivarais où les volcans roupillent depuis 5-6 millions d’années. Pour une fois que les protestants se trouvent un coin peinard…
Retour Paris 20ème. Petit circuit, petite vitesse, à défaut d’être l’ADSL du grand réseau mondial, j’appelle David, l’ADN homme des petits bonheurs tout près. David est prince du numérique et il se bat contre the Big Goliath inoculeur de nos méchants virus. Autant vous dire que notre ordi n’est pas avare en ex-voto… De même, sans lui et sans son kit d’adaptateurs de prise aux différents systèmes dans le monde, comment pouvais-je avec mon beau batteur aux normes NF, envisager de me faire des œufs en neige au cœur de la Turquie profonde ?…
Il y a les voyages dont on rêve, il y a ceux qu’on s’autorise à faire, ceux qu’on pense avoir fait. Lesquels méritent le plus d’être contés ? Pour l’instant je fais pas mal le fier, mais au fil des jours qui passent j’ai des sueurs. La logistique, ça semble okay, mais le physique, qu’en est-il ? Là, c’est pareil, je visualise énormément. En pleine canicule dans Paris, j’ai fait des siestes à une moyenne de 4 kilomètres heure… Vous voyez je connais mon sujet.
Corinne, ma femme, mon épouse, ma conscience littéraire, navrée, regarde l’écran sur lequel je m’amuse : « Et tu penses leur parler de lecture quand ? » Tout doux Darling, écrire chaque jour sa distance, voilà ce que signifie marcher, donner du temps au paysage, convertir l’un et l’autre au dialogue ; en chemins, les traduire à soi-même. D’instinct, choisir le sens de sa circumambulation en fonction même des écritures ! De gauche à droite pour aller lire de Marseille à Beyrouth ; puis à partir du Sinaï, quand on regarde la carte, marcher de droite à gauche jusqu’à l’Atlas, pour être en quelque sorte au plus près de la littérature arabe… Lecteur debout dans l’écriture, en silence, à l’arrêt, traquer l’audible et l’inaudible ou en mouvement vers, arracher les pages roses du dico, détrousser les pages jaunes de l’annuaire, attaquer de la langue les falaises ; mais construire nom de dieu, « se » construire…. Se construire par les mots !
Du coup, je pense aux Villes invisibles d’Italo Calvino : « Toute ville reçoit sa forme du désert auquel elle s’oppose… » comme toute parole reçoit sa forme du silence dans lequel elle s’énonce. Architectes des langues, haut-parlez c’est un ordre ! Haut-parlez dans ma tête. Savez-vous qu’à force de lire Giono, il y a de ses phrases qui me viennent, en regardant les arbres ?
Où que mes yeux se posent sur la mer, je m’imagine Izzo dans la lumière du mois d’octobre. Ce mec devait fumer j’en suis sûr ; devait savoir marier la nicotine aux embruns de sa ville. Dans « Les marins perdus », à deux reprises, je l’ai surpris en flagrant délit d’hommage à Camus dont il reprend quelques morceaux des pages 16 et 17 de « Noces à Tipasa ».
« Le même bonheur coulait du ciel vers la mer. Il s’était dit alors que c’était ça, la seule gloire du monde. Le droit d’aimer sans mesure. Il avait envie d’étreindre le corps de Céphée, comme il l’avait fait ce jour-là. De l’aimer dans les senteurs de figues et de jasmin. »
J’aime cette communauté de biens qui relie nos jardins par de l’eau. Quand Chantal Portillo, l’écrivain, me propose de m’écrire sur le net tout un journal imaginaire pour me suivre par pensées autour de la Méditerranée ; dans l’attente qu’elle est de cette nuit magique prévue au Maroc au mois d’août 2004, nuit tout au long de laquelle je vais lire son roman « La femmepluie ». Comprenez, que les livres m’irriguent…
A l’heure où certains n’ont de cesse de trouver un bon poulet « Loué » pour le cuire entouré par des Belles de Fontenay ; pour ma part, il me tarde de bouffer du lapin estampillé « Carroll » et de franchir le miroir, haut la cuisse !
Marc Roger
Lecteur-marcheur
Livres cités :
« La femmepluie » de Chantal Portillo (Editions Bérénice)
« Les villes invisibles » d’Italo Calvino, traduit de l’italien par Jean Thibaudeau (Editions du Seuil)
« Les marins perdus » de Jean-Claude Izzo (Editions J’ai Lu)
« Noces » d’Albert Camus (Ed. Folio Gallimard)*Cheyne Editeur au Chambon-sur-Lignon
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topo n° 2 (Janvier 2004)
Courrier d'Oxor
Palladio Venezia, entre Ancona et Split,
nuit du 22 au 23 novembre 2003.Cher topo, voici mes escales : Marseille - Turin - Carrare, tout le monde en voiture !
Puis la belle Toscane à pied… Carrare, Viareggio, Pise, Livourne.Enfin Rome, le port d’Ancona et Perugia.
Dans cette ville effilée qu’Italo Calvino semble avoir recopiée pierre à pierre, mot à mot dans "Les villes invisibles", le jeune poète italien Francesco Albano a joué le jeu d’une lecture croisée à deux voix... Lis-le !
J'arrive au Centre de vie associative "Island", tard le soir. Un repas de soutien à un prisonnier politique réunit là une cinquantaine de jeunes étudiants et de militants de vieille date en tous genres. L’ambiance est trash. On s’entend à peine parler, une mauvaise sono poussée à fond interdit toute place au silence.
Après quelques agapes roboratives, à la surprise de beaucoup, Francesco et moi-même montons sur des palettes faisant office de petite scène, avec chacun dans notre langue une Odyssée d’Homère.
Nous commençons : "Le brigand que tu fais !..." (Chant V, vers 183), Calypso essaye encore de retenir Ulysse. Face à sa détermination sans faille à revoir Pénélope, les deux amants se donnent l’un à l’autre une dernière fois. Puis la belle Calypso, avec tout le panache de ses charmes vaincus, aide Ulysse à construire son bateau.
"Au bout de quatre jours, tout était terminé… elle l’avait baigné et revêtu d’habits à la douce senteur… elle avait fait souffler la plus tiède des brises… Plein de joie, le divin Ulysse ouvrit ses voiles".
Tout cela lu comme sur un toit de tuiles quand l’eau s’écoule goutte à goutte dans la même énergie, direction le ruisseau, la rivière puis le fleuve et la mer… Nos deux musiques côte à côte s’alternant secrètement par de légères pressions de mon coude sur son coude; les deux langues, italienne et française s’appliquant à chanter, vingt-huit siècles plus tard, les inusables vers du grand poète.
Grazie mille Francesco e arrivederci ! Le Palladio Venezia ronronne dans la nuit, une profonde rumeur de machines berce mon léger sommeil sur une Adriatique d’huile. Tôt le matin, dans un fourreau de milliers d’îles, m’apparaît l’invraisemblable côte Dalmate. Le port de Split me dit bonjour en croate : Dobardan !
A bientôt !
Marc Roger, Lecteur marcheur, est en route pour une épopée d'un an à travers le monde, il tiendra régulièrement topo au courant de ses pérégrinations.
Oxor ou le voyage de Marc Roger
(BIBLIOthèque(s), revue de l'Association des Bibliothécaires français, n° 5/6, décembre 2002)
Attention, cet homme est un rêveur mais il garde les pieds sur terre, qu'il parcourt... un livre à la main. Après un premier périple pédestre en 1996 à travers la France, "à pied et à voix haute", où chaque étape était ponctuée d'une lecture en public, Marc Roger récidivera dans un an, autour du bassin méditerranéen, pour un voyage baptisé "sur les chemins d'Oxor". Oxor ou la rencontre de l'occident et de l'orient, traversés par la littérature du monde entier et la voix de Marc Roger.
Après cette formidable expérience du parcours de la France à pied et à voix haute que vous relatez dans votre livre, comment est venue l'idée de l'étendre au sud de l'Europe ?
C'est au Liban que le déclic s'est produit, lors du salon "Lire en français et en musique" de Beyrouth où j'étais intervenu comme lecteur public. J'avais reçu un accueil formidable ! Les Libanais sont francophiles. En outre, ils ont une grande tradition orale. Comme j'aime beaucoup la marche, j'ai fait le lien, car marche et oralité sont de très forts vecteurs dans le bassin méditerranéen.
Quel sera votre parcours ?
Le 19 octobre 2003, nous partirons d'Arles où le Collège international des traducteurs aura accueilli la veille notre Bal à lire.
En 7 étapes - où chacune sera ponctuée d'une lecture - nous rejoindrons Marseille et prendrons le bateau pour Ajaccio. Le but de notre voyage est de couvrir le plus de distances à pied mais nous serons parfois obligés d'opter pour la voie maritime. Nous traverserons ensuite l'Italie, La Croatie, La Bosnie, la Yougoslavie, nous passerons en Grèce du Sud, nous nous dirigerons vers Istanbul, Izmir, Rhodes, Chypre. Nous rejoindrons le Liban par bateau pour atteindre Damas, la Jordanie, l'Israël, la Palestine, l'Égypte. Nous traverserons le désert entre l'Egypte et la Libye en 4 x 4, nous redescendrons par le Maghreb, l'Espagne et nous terminerons ce voyage en Languedoc-Roussillon. À chaque étape, nous présenterons un choix de textes variés aux auditeurs.
Comment s'organise la sélection bibliographique ?
La recherche se fait au fil des rencontres, au fil des hasards. On cristallise des auteurs sur les lieux. J'ai appris par exemple que Jean Genet était enterré à Larache sur la côte atlantique du Maroc. Je vais donc me replonger dans certaines de ses oeuvres et éventuellement prévoir une étape à Larache pour en lire des extraits.
Nous sommes quatre lecteurs à préparer ce voyage. Nous avons commencé à nous réunir afin de confronter nos recherches sur la littérature des pays visités. Les textes que nous choisissons sont lus et soumis au vote du groupe. Originalité et universalité sont les critères de choix. Les extraits retenus sont ensuite chronométrés. Dès le mois de janvier prochain, les habitués de La Maroquinerie, un café littéraire dans le XXe arr. à Paris, pourront les découvrir, occasion pour eux de rêver à la préparation de notre voyage et pour nous, de recueillir leurs impressions.
Les lectures lues durant l'expédition seront les mêmes que celles lues par les deux lecteurs restés en France, afin d'organiser une sorte d'opération en duplex. C'est pourquoi nous travaillons actuellement à développer des partenariats avec les bibliothèques, librairies, centres culturels étrangers. Pour vous donner un exemple, la librairie "Le Merle Moqueur" à Paris (voir interview BIBLIOthèque(s) n°1, p. 84) installera un ordinateur où chacun pourra se connecter avec notre site Internet. Tout au long de l'année, "Le Merle Moqueur" aménagera sa vitrine en fonction des pays traversés.
Nous avons aussi d'autres partenaires: une maison de retraite, dont le directeur envisage des animations avec conférences et dégustations culinaires autour des pays visités. Radio France Internationale suivra l'opération. Une fois par mois, nous serons en connexion avec les enfants de l'association l'Enfant@l'hôpital, le centre scolaire de la maison d'arrêt des Hauts-de-Seine, le lycée technologique de Saint-Ouen-l'Aumône.
Mon fils cadet, qui sera du voyage, prendra des photos que nous téléchargerons sur notre site et qu'il commentera avec son regard d'enfant. Cela alimentera le travail mené avec plusieurs écoles qui ont construit leur projet pédagogique autour de ce voyage.
Quels sont les critères d'oralité d'un texte et comment le travaillez-vous ?
Je lis, équipé d'un bristol et d'un crayon, afin de repérer les passages forts, la trame dramatique du roman, qui se prêtent à l'oralité. Je travaille ensuite au chronomètre, parce qu'il ne faut jamais dépasser un quart d'heure de lecture. Il m'arrive par exemple de sélectionner le premier chapitre puis d'enchaîner sur d'autres paragraphes, parfois, je lis la quatrième de couverture et je reviens ensuite au texte. Lorsque j'assemble différents éléments du livre je fais toujours entendre au public la distinction entre ce qui relève de l'écriture de l'auteur et mes commentaires de lecteur.
Comment procéderez-vous lors des lectures dans chaque pays ?
Comme je le fais toujours, je disposerai autour de moi un éventail de livres dans lequel les lecteurs choisiront ceux qu'ils auront envie d'entendre. Ils pourront choisir un texte de n'importe quel pays. C'est pourquoi le critère d'universalité de notre sélection est important. Imaginons que nous sommes à Athènes, je demande aux auditeurs s'ils ont envie d'entendre un auteur algérien...
... Que vous lirez dans une version française ?
Tout à fait. Nous sommes invités par les centres culturels français et par les Alliances françaises. Notre voyage se situe dans une thématique francophone. La francophonie se frottera à d'autres structures, comme elle le fait d'ailleurs au quotidien. Je souhaite que le français côtoie la musique des langues d'accueil. On voit très bien que la littérature francophone se nourrit des cultures des pays d'accueil.
Alors pourquoi un partenariat avec le collège international des traducteurs d'Arles ?
La rencontre avec Arles s'est faite autour de l'idée du concours de nouvelles. Ce concours s'adresse aux jeunes francophones de 15 à 25 ans qui pourront écrire une nouvelle sur un thème imposé : le livre et la lecture comme source de dialogue. La meilleure nouvelle sera élue par les enfants de l'association l'Enfant@l'hôpital. Elle sera ensuite traduite dans les 18 langues des pays visités où elle sera lue et remise à chaque participant qui en recevra un exemplaire. Ce sera donc notre texte ambassadeur. Nous avions besoin du soutien de traducteurs, ce qui explique la participation du collège international d'Arles à notre projet. Il ne nous reste plus qu'à trouver un éditeur.
Tous vos auditeurs ne comprendront pas le français. Prévoyez-vous une traduction simultanée ?
Mes expériences de lecture en Afrique m'ont appris qu'il se trouve toujours un auditeur dans le public pour s'improviser interprète. C'est un fabuleux moment de complicité d'autant qu'il n'est pas préparé d'avance.
Qu'espérez-vous de ce projet, hormis de vivre une fabuleuse expérience pendant un an ?
J'attends des livres en transhumance une plus-value dans la rencontre des esprits. Ce projet vise à favoriser le dialogue. Je suis persuadé que nos provoquerons des étincelles qui allumeront les regards plus que la poudre des canons.
Quand on lit la presse vous concernant, on a l'impression que la profession est apparue avec vous.
Il y a de plus en plus de lecteurs publics en France. C'est l'explosion du genre qui m'a incité à m'associer avec des collègues, notamment avec Frédérique Bruyas et Hélène Lanscotte, dont le travail sur la voix est différent du mien. Mon objectif est que cette action soit connue du plus grand nombre, pour amener le plus de personnes possible à la lecture. Si elle est uniquement connue des publics de bibliothèques où des acheteurs de livres, elle est restreinte.
J'ai inventé le bibliocycle pour faire entrer les publics éloignés de la lecture dans la bibliothèque. Je m'installe avec mes livres dans un lieu de la ville, sur une place publique par exemple, généralement un petit groupe se forme autour de moi. Lorsqu'une personne, captivée par la lecture, me demande où elle peut trouver le livre, je lui montre la bibliothèque ou le bibliobus le cas échéant.
Plus d'infos sur le bibliocycle ?
Visitez le site de La Voie des Livres.Pour toute une catégorie de la population, les bibliothèques sont encore des temples de la lecture et de la culture. Certaines personnes pensent qu'elles sont payantes. Elles n'osent pas en franchir le seuil. Le travail remarquable que font les bibliothécaires n'atteint pas ce public-là parce qu'il faut déjà être dans la bibliothèque pour l'apprécier. Moi je suis dans la rue et je dis aux gens de rentrer dedans, que c'est un lieu pour eux.
Vous contribuez à alimenter le 18% de Français qui fréquentent les bibliothèques publiques !
II faut quand même souligner le travail énorme fait par les écoles pour amener les enfants à la lecture et à la bibliothèque. Aujourd'hui, c'est finalement le contexte familial qui reste encore à sensibiliser. Il y a encore tant à faire auprès des parents, y compris les plus cultivés. Quand je leur dis qu'ils peuvent faire la lecture à leur nouveau-né, dès le retour de la maternité, certains me regardent avec de grands yeux écarquillés.
Quant aux parents les plus démunis, il faut les convaincre que les livres peuvent être présents dans la maison, sans souci budgétaire, grâce aux bibliothèques, aux éditions bon marché. Certains rayons librairies des centres commerciaux commencent à proposer des textes variés. C'est un plus indéniable. On peut aussi offrir aux bébés d'autres livres que ceux en plastique ou en tissu. On peut leur lire des histoires plus élaborées qui ensuite viendront enrichir leur vocabulaire. On peut même leur lire des livres sans image. Un roman pour la jeunesse possède une syntaxe qui nourrit le petit enfant.
Que voudriez-vous dire aux apprentis-lecteurs qui souhaitent exercer ce métier et pour qui le projet d'Oxor doit être le rêve absolu ?
Nous n'exerçons pas toujours notre métier au chaud dans un auditorium, mais aussi dans la rue, dans un lycée professionnel où 8o adolescents nous reçoivent de manière hostile. Ils s'installent tête baissée, les mains entre les jambes. Notre travail de lecteur est de les faire relever le buste, d'allonger les jambes et de croiser les mains sur le ventre. Pour arriver à cela, il faut une technique imparable et déployer une énergie considérable. Quand ils viennent me trouver à la fin de la séance et me disent "Monsieur, j'ai tout vu, c'est comme au cinéma", et qu'ils s'en vont trouver la documentaliste lui demander le livre que je viens de lire, c'est mon salaire de gagné, en monnaie sonnante et trébuchante.
Propos recueillis par Virginie KREMP
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Hélène Lanscotte et Frédérique Bruyas, des lectrices-virtuoses, partenaires de Marc RogerC'est au cours de cette interview qu'est née l'idée d'une chronique sur Oxor dans BIBLIOthèque(s). Dès le numéro de février 2003, les lecteurs trouveront un écho des réunions bibliographiques qui se tiendront au café littéraire La Maroquinerie, jusqu'au jour du départ, le 19 octobre 2003. D'Ajaccio, d'Athènes, de Damas ou d'ailleurs, Marc Roger nous enverra ses impressions de lecteur-voyageur.
Le Bal à lire est une spécialité mise au point par l'association la Voie des livres, présidée par Marc Roger, où Marc et ses acolytes, Frédérique Bruyas, Oliver Comte, Hélène Lanscotte, renouent avec la tradition du bal populaire en l'entrecoupant de lectures thématiques, pour le plus grand bonheur des auditeurs-danseurs.
Plus de détails sur le site de La Voie des Livres.
Six rendez-vous sont prévus pour préparer le voyage d'Oxor, un jeudi par mois, à 21 h, au café La Maroquinerie, 23, rue Boyer -75020 Paris, tél. 0140 33 30 60
- 16 janvier : Italie et Espagne
- 6 février : Croatie, Bosnie-Herzégovine,
Yougoslavie et Albanie- 27 mars : Grèce et Turquie· 24 avril: pays arabes
du pourtour méditerranéen- 15 mai: thématique "Vive la marieuse !"
- 19 juin : prix de la nouvelle "Sur les chemins d'Oxor
Les uns, les autres
UNE RUBRIQUE DIRIGEE PAR JEAN-GABRIEL FREDET ET CHRISTINE DEYMARDMarc Roger
L'homme aux semelles de mots
(Nouvel Observateur N° 1950 du 21 au 27/03/02 : extraits)Par Véronique Radier
Lecteur public, après un tour de France, il s'apprête à parcourir la MéditerranéeAu Bouquin affamé, restaurant artistico-branché à Clichy, la salle est comble, les conversations animées autour des assiettes.
Soudain, on entend le sifflet familier d'une loco, le roulis hypnotique d'un train sur les rails.
Les lumières s'estompent et, tout de noir vêtu, recueilli comme à l'office, Marc Roger monte sur l'estrade.
On pense à un plongeur prenant son élan sur la planche.
A ses côtés une petite table où sont empilés des livres ouverts.
La main preste, il saisit le premier et commence à lire comme d'autres respirent : avec un naturel surprenant. [...]Du soir au matin, il lit à s'en user les yeux, toujours a l'affût d'une nouvelle merveille.
II lit et... il se balade : de ville en ville, de salle en salle, de bibliothèque en festival, pour porter la bonne parole de la littérature, classiques ou inédit, qu'importe le genre pourvu qu'il donne l'ivresse.
Voilà deux ans, ce sportif du verbe a même réalisé un tour de France "à pied et à voix haute".
Une année à parcourir l'Hexagone, jour après jour, à hauteur de Pataugas, qu'il pleuve, qu'il vente, qu'il neige, pour lire dans des coins perdus, dans d'obscurs villages.
En voici quelques-uns, pour la bonne bouche et dans le désordre :
Esnouveaux, Pulligny, Bellefontaine, Saint-Pouange, Lalinde, Chauny
Depuis ce marathon des lettres en solitaire, son téléphone n'a plus cessé de sonner.
" Des commandes de spectacle, mais aussi beaucoup de gens qui rêvent de devenir lecteurs. "Au point que, depuis peu, Marc Roger s'est décidé à faire école (1) : il prépare un nouveau voyage, en compagnie cette fois de trois émules : un tour de la Méditerranée ! " Pas entièrement à pied, évidemment, mais le plus possible. "
Au programme, 20 pays, 6 000 kilomètres de pistes et des milliers de lignes en traduction simultanée.
Top départ en octobre 2003 seulement, mais chez lui Marc Roger a déjà accroché une mappemonde où des punaises figurent chaque étape.
Pourquoi partir à nouveau ? " Pour faire marcher l'imaginaire : je croise encore des gens qui, m'ayant entendu dans leur village, sont persuadés que je marche toujours sur les routes ici ou là. "
Etonnant voyageur...
VÉRONIQUE RADIER
(1) Voir la page "Formation" sur le site de
La Voie des livres : www.lavoiedeslivres.com
ou 01-43-48-79-55.
Presse Francophone
L'homme-livre
(Forum, revue des Français de Rome & du Latium, déc. 1999, n° 356, 36éme année)
En cette fin de millénaire où la télévision, les jeux vidéo et les ordinateurs triomphent, il nous est tombé du ciel un oiseau rare: non pas un conteur: il n'invente pas d'histoires, mais un lecteur, un lecteur public qui lit à la grande joie des petits et des grands des nouvelles de tous genres. D'un seul coup nous voici donc projetés un siècle en arrière, les veillées autour de l'âtre... au cours desquelles les contes lus et relus se transmettaient de père en fils, comme de petits trésors.
Marc Roger, tel est son nom, nous a-t-il transmis en ces deux jours passés parmi nous sa passion pour la littérature?
C'est par le Lycée Chateaubriand qu'il débute sa visite: le matin, successivement face à des classes de 6ème, 5ème et 3ème.
St. Dominique l'après-midi suivra avec des classes de la 6ème à la lère réparties en deux groupes. Avant de commencer sa séance, le lecteur s'assure de la bonne acoustique de la salle, de la disposition des sièges placés de préférence en hémicycle pour regrouper son auditoire autour de lui afin de créer une atmosphère chaleureuse.
Après s'être présenté, il énonce le titre de l'oeuvre, la situe d'une manière très concise et commence à lire avec une remarquable expression et un art de comédien; il mime quand besoin est, change parfois le ton de sa voix, et présente des nouvelles tantôt humoristiques comme "Emprisonné" de Antje Biller, ou "Je de mains, je de vilains" de Bernard Werber (orthographié ainsi par l'auteur) ou comiques comme le récit de Louis-Michel Cluzeau: "Mimi" tiré du "Cheval de Marsac" ou encore dures comme "Chasseurs de Vieux" tirée du "K" de Dino Buzzati ou enfin tragiques comme "Fleur rouge" de Paulette Poujol-Oriol.
L'auditoire est conquis, la participation des élèves est loin d'être passive, ils entrent dans le texte, ils le pénètrent et attendent, vibrants, la suite de l'histoire. Ils incarnent le personnage, ils deviennent le protagoniste, et c'est ainsi que leurs expressions passent de la gaieté franche, à la gêne parfois ou à la tristesse. L'indifférence ou la lassitude n'apparaissent jamais sur leurs frimousses grâce à la conviction et à la passion de Marc Roger qui sait communiquer un véritable message.
Il n'en est pas moins intéressant de mettre en évidence sa méthode du conte illustré, à l'usage de parents de jeunes enfants, de grands-parents ou de "baby-sitter". Le texte de chaque page du livre cartonné est photocopié et collé au dos, un gros trait noir au feutre indique que la page doit être tournée, le conteur place son visage derrière le livre, il tient l'ouvrage par les extrémités afin de ne pas cacher les dessins, et lit tout en caricaturant les situations par des inflexions diverses de la voix. Cette méthode inspirée du théâtre imagé japonais subjugue les enfants.
En savoir plus sur cette technique...
Le soir à Bibli au Trastevere dans une atmosphère accueillante, les "grands" eux aussi furent gâtés. Le public était installé sur des fauteuils pliants noirs disposés en demi-cercle, comme le désire le lecteur, qui trouvait la salle tout à fait à son goût: les parois de bois étaient tapissées de livres! Des textes variés étaient lus, allant du ludique comme "Rond-Point" de Jacques Fulgence, au tragique comme "Mme Rosy" tiré du recueil "Départements et territoires d'outremort" de Henri Gougaud, ou encore le "K" de Dino Buzzati, au jeu de mots. Après ce régal intellectuel les nourritures terrestres nous attendaient sous forme d'un délicieux buffet; vin rouge ou vin blanc égayait les groupes qui virevoltaient avec difficulté, pour trouver une place assise. Des gâteaux au chocolat surmontés de crème Chantilly achevaient ce dîner convivial.
Le samedi matin Marc Roger était au rendez-vous au centre St. Louis de France. La salle était comble. Le lecteur a repris les lectures de la veille; certains participants l'ont prié de lire Marcel Proust, l'auditoire était pris comme sous un charme, tant notre lecteur sait donner aux mots une âme.
L'après-midi, à la Librairie française "La Procure", une quinzaine de personnes purent entendre des extraits des livres: "Stupeurs et tremblements" d'Amélie Nothomb, du "Grand Rôle" de Daniel Goldenberg et des passages de Italo Svevo.
Le soir près d'un piano au restaurant l'Archeologia, Marc Roger, avant de se consacrer à la lecture du texte magnifique d'Alessandro Baricco, Novecento, nous présenta brièvement sa carrière non sans évoquer les souvenirs de son tour de France à pied et ses projets de bibliocycle.
Ainsi, grâce à la générosité de Philippe Bernagou des Laboratoires Dolisos et de Bernard Millet des Laboratoires Servier, ce sont plus de sept cent cinquante lecteurs et futurs lecteurs que Marc Roger fascina durant ce week-end de novembre.
Pourrait-on qualifier Marc Roger de "jongleur de mots"? L'expression serait trop faible pour un homme qui se donne corps et âme à son métier en établissant toujours un contact étroit avec son auditoire. Mais l'on peut être sûr qu'il aura amené à la lecture, par sa fougue et son talent de nouveaux adeptes.
Marie-Jeanne Badé Tomei
Le tour en livres
(BIBLIOthèque(s), revue de l'Association des Bibliothécaires français, n° 10, août 2003)
Aux dires des sismologues et autres spécialistes de renom, la plaque africaine remonterait de six millimètres par an vers la plaque européenne. Six millimètres de Méditerranée rayés de la carte en douze mois. Six millimètres qui s'envolent comme ça, au profit de l'Atlas et des Alpes s'élevant un peu plus chaque année.
À ce rythme, on peut prévoir un rendez-vous sympa entre les deux stations d'Alger la Blanche et de Marseille sous son manteau de glace - agences d'intérim ne cherchent plus dockers, mais plutôt - moniteurs de snow-board - ça laisse le temps de discuter littérature.
Avant que la mer ne mette les voiles, on peut en faire le tour tranquille, en livres, à pied et à voix haute ; saluer au passage toutes celles et ceux qui vivent autour.
À notre échelle humaine ou au 1/100 000, à raison de six millimètres par jour, on en fait du chemin l'un vers l'autre, en un an, à petits pas de tchatche et de sabir, de livres lus de plage en plage, à dire le sable, le galet ou l'ordure... Ici, j'émets une hypothèse : avec un peu de coeur, muni d'un double décimètre, on doit pouvoir prendre mesure des vibrations qui nous séparent.
Et puis, basta les millénaires ! À quelques heures de mon départ sur les chemins d'Oxor, je regarde mes chaussures et me dis que la vie n'est qu'un peu de mouvement ordinaire.
Merci à tous et bon voyage...Marc ROGER
Lecteur-marcheurLa chronique d'Oxor
Préparatifs
Le corps tendu par la concentration, on perçoit seulement le frémissement de la glotte. La voix s'élève profonde, généreuse. Chacun retient sa respiration, par peur de troubler un silence épais, envahi par la nuit extérieure. Nous sommes au café La Maroquinerie, dans le 20e arrondissement à Paris, un jeudi soir, peu après 21 heures. Frédérique Bruyas a commencé sa lecture à voix haute.
Un instant suspendu dans le temps. Comme chacun de ceux qui ponctuaient les rendez-vous d'Oxor proposés par Marc Roger, entre janvier et juin, pour partager avec le public les extraits des oeuvres qu'il lira dans son tour de la Méditerranée à partir du 18 octobre prochain (voir BIBLIOthèque(s) n°5/6, p. 76-79).
Il y en eut d'autres, des instants précieux, fragiles ou drôles. Ainsi, cet extrait des Ritals de Cavanna sur le fameux Fernet Branca, lu par Hélène Lanscotte.
Des moments de suspens aussi, à l'écoute des Soldats de Salamine de Javier Cercas. Et de la poésie, du chant presque, avec un texte de Jacques Rebotier dans la polyphonie des voix des deux lectrices.
D'une séance à l'autre, selon les thèmes ou les auteurs, parfois au cours d'une même soirée, l'humeur variait. Mais toujours, pour chacun, le bonheur d'être là, d'assister en direct, avant l'heure, à des morceaux de voyage à venir, comme ces improvisations de traduction simultanée. Pour répondre à la question d'un curieux : " Mais comment ferez-vous à l'étranger, pour lire le Français à des gens qui ne le comprennent pas ? " , Marc demanda s'il se trouvait une personne parlant espagnol (les lectures ce soir-là portaient sur l'Espagne et l'Italie). Un homme jeune leva timidement le doigt. " Monsieur, cela vous ennuierait-il de venir me rejoindre ? Le principe est très simple : je lis une phrase et vous la traduisez. "
Le lecteur sortit un album pour enfant, La Pièce secrète d'Uri Shulevitz, et s'en servit comme d'un masque (l'intégralité du texte était collée au dos du livre). Ce fut très simple en effet, et très émouvant, comme du théâtre où l'on décèle chez l'interprète improvisé la fragilité d'un débutant en se demandant s'il faillira ou pas.
Personne ne faillit, l'expérience fonctionna à merveille, ce soir-là comme tous les autres soirs, et dans toutes les autres langues du pourtour méditerranéen. Ce fut même comique, lors de la séance consacrée à la littérature des Balkans, d'entendre le Croate ondulant d'un monsieur assez âgé essayant d'imiter la fausse grosse voix de Frédérique Bruyas, dans le rôle d'un loup au français rocailleux.
En juin, les lectures ont pris fin. La dernière fut consacrée à la remise du prix de la nouvelle " Sur les chemins d'Oxor ", décerné par les adolescents de l'association L'Enfant@l'hôpital, suite au concours lancé par La Voie des Livres, en partenariat avec RFI et la Délégation générale à la langue française et aux langues de France, auprès de tous les jeunes francophones. Le premier prix a été attribué à Evans Pontien Nounawon de Cotonou (République du Bénin) pour sa nouvelle Les Tomènous (" les étrangers ").
Entre-temps, la librairie Le Merle Moqueur a reçu, en mars dernier, le prix ADELC de la librairie indépendante pour son projet d'équipement Internet, afin que les habitués puissent suivre en direct sur le Net le voyage de Marc et de sa famille.
Un voyage que Marc prépare activement. Le planning, géré par Corinne, son épouse, devient serré (voir l'agenda sur le site www.oxor.net). Grâce à ce site, les fans de Marc ou les copains de Tom, son fils de huit ans, pourront correspondre avec eux. Hélène Lanscotte et Frédérique Bruyas, restées en France, feront des lectures synchronisées dans différentes bibliothèques en France. Les lecteurs de BIBLIOthèque(s), quant à eux, pourront lire tous les deux mois le récit des étapes que Marc nous fera parvenir, accompagné de quelques clichés inédits. C'est au lecteur-marcheur que nous réservons les premières lignes d'introduction à son voyage.
Virginie KREMP
Le griot blanc
(Lire - N° 319 - Octobre 2003)
Marc Roger est lecteur-marcheur. Accompagné de sa famille et d'interprètes, il partira d'Arles le 19 octobre pour une longue marche littéraire autour du bassin méditerranéen, baptisée Sur les chemins d'Oxor.
Comment devient-on lecteur public ?
MARC ROGER. Par une succession de hasards. On ne peut pas dire que ma formation de comptable m'y prédisposait ! Je suis né en Afrique, ceci explique peut-être cela. Lors du festival Etonnants Voyageurs à Bamako, un spectateur malien m'a d'ailleurs surnommé le "griot blanc". Et puis, j'ai été quelque temps instituteur en maternelle et animateur de camps d'adolescents, deux activités qui m'ont permis de découvrir mon goût pour la lecture à voix haute. Pourtant, le véritable déclic a eu lieu dans une maison de retraite! Sa directrice m'avait demandé de venir lire des textes à ses pensionnaires. Entre les spectateurs et moi, le plaisir a été réciproque et... j'ai décidé de devenir lecteur professionnel.
Plus que lecteur : lecteur-marcheur !
M.R. Il y a un point commun entre ces deux disciplines. Elles nous projettent hors du temps par le biais du mouvement. Marcher, c'est déplacer son corps sur une route, et lire, c'est faire avancer ses yeux sur des lignes. Dans les deux cas, on se retrouve dans une bulle, déconnecté de la réalité.
Pourquoi avoir choisi d'entreprendre ce "voyage lecture"autour de la Méditerranée ?
M.R. J'ai été invité il y a trois ans au salon Lire en français et en musique de Beyrouth. Chaque jour, le public venait m'écouter pendant six heures d'affilée. J'ai terminé aphone et résolu à partir avec mes livres autour du bassin méditerranéen ! La tradition d'oralité de cette région du monde me semblait cohérente avec un tel projet. J'aime cette idée de transhumance des livres. Nous allons parcourir une vingtaine de pays. Outre le fonds commun - Maupassant, Camus... - je lirai des textes d'auteurs nationaux. Lutopie de ce voyage c'est de réunir des publics très différents autour de dénominateurs communs : le rêve, la poésie, l'échange et la littérature. La littérature considérée comme une immense oeuvre collective, dépassant les ego des écrivains.
Certains pays ont-ils réagi négativement à votre projet ?
M.R. Non. Nous souhaitons aller partout, sans nous mettre en danger, bien sûr. Mais nous verrons au fur et à mesure. II a fallu trois ans pour organiser ce voyage. Il faut maintenant laisser place à l'improvisation.
PROPOS RECUEILLIS PAR ALEXIE LORCA
Marc Roger va faire un voyage d'un an autour de la Méditerranée en lisant, en marchant
(Le Monde - vendredi 17 octobre 2003)
Marc Roger vit en lisant, en marchant. Le 18 décembre, à 15 heures il sera sur un pont de Visegrad en Bosnie-Herzégovine pour lire à haute voix un extrait de II est un pont sur la Drina, d'Ivo Andric, "dans le contexte géographique dans lequel elle a été écrite". Peut-être des passants s'arrêteront-ils, peut-être pas. Il fera la même chose avec L'Iliade sur le site de Troie, en Turquie, ou avec un texte de Jacques Lacarrière dans un amphithéâtre grec. " Je donne mes propres rendez-vous avec la littérature. Ce sont des petites folies qui n'engagent à rien si ce n'est à la folie de l'acte ", explique Marc Roger.Dimanche 19 octobre, Marc Roger va s'embarquer dans une plus grande folie. II prendra la route, avec femme et enfant, pour un an de voyages et de lectures, autour de la Méditerranée, à pied (15 à 20 km par jour), en 4 x 4 (le reste du trajet et l'équipement) et dans les livres (300 ouvrages dans les bagages). II prendra la route pour sa première étape : le moulin d'Alphonse Daudet. Il invite ceux qui veulent l'accompagner au début de son voyage à venir avec un livre qu'ils liront pendant une minute à voix haute.
Marc Roger est lecteur public. Il lit dans les bibliothèques, les écoles, les maisons de retraite, les prisons, les cafés, etc. En 1996, il a créé l'association La Voie des livres, pour se lancer dans un tour de France, sur le même principe
" En livres, à pied et à voix haute ". Cette année, il voit plus grand. L'idée lui est venue en 2000 au Salon du livre de Beyrouth : " II y a eu un accueil extraordinaire lors des lectures. Pendant dix jours, les gens n'ont pas lâché. Je ressentais une envie d'avoir des histoires, une envie de partage. En me promenant sur la plage, en regardant la mer, je me suis dit que cela devait être pareil tout autour de la Méditerranée. " Il lui faut près de trois ans pour donner une réalité à ce rêve. Il a construit deux programmes de lecture : " Du bleu qui les sépare " , avec des textes de Dritëro Agolli, Javier Cercas, Andrée Chedid ou Békir Yildiz, etc. ; " Des délices tout autour " (Albert Cossery, Mohammed Dib, Carlo Lucarelli, Amin Maalouf, etc.).En fonction des étapes, il ajoute des auteurs, comme Orhan Pamuk à Istanbul ou 1900 Pianiste, d'Alessandro Baricco, sur une plage de Toscane. Son périple le conduira jusqu'au 16 octobre 2004 à travers 20 pays, d'Arles à Montpellier, en passant par Marseille, Ajaccio, Rome, Split, Mostar, Sarajevo, Tirana, Athènes, Thessalonique, Izmir, Rhodes, Byblos, Beyrouth, Damas, Alexandrie, Tripoli, Alger, Oran, Fès, Cartagena, Alicante, Barcelone, Cerbère.
" PASSEUR DE LIVRES "
" Le rythme de la marche est primordial. On ne serre pas les mains des gens de la même façon quand on descend d'un train ou qu'on arrive à pied. Mais ce n'est pas un challenge, c'est la lecture qui est mise en avant, pas la marche. On a des difficultés pour passer les frontières à pied, car tout est pensé pour que l'on circule dans des canaux. " Certains passages de frontières risquent d'être dangereux pour les livres : " On aura de la chance si la bibliothèque fait le tour de la Méditerranée. "
Il n'est pas comédien ni conteur: " Je ne suis pas sur scène, il n'y a pas d'éclairages. Je suis un lecteur. Le texte écrit est mon viatique. " C'est son métier depuis onze ans. Avant, il montait sur scène pour défendre ses propres textes de poésie sonore. Un soir, il est allé faire une lecture d'autres auteurs dans une maison de retraite. A la fin de son programme, une vieille dame aveugle lui demande de revenir. Il ira une fois par semaine et abandonnera l'écriture : " J'ai franchi le cap très nettement. J'éprouve de la sensualité et du plaisir à être dans la lecture des autres. Je suis un passeur de livres. "A. S.
La Provence : 2 articles
Marc Roger donne de la voix aux livres
(samedi 18 octobre 2003)
Des pages qui donnent des fourmis dans les jambes
(lundi 20 octobre 2003)
Fête du livre
Marc Roger donne de la voix aux livres
(La Provence - samedi 18 octobre 2003)
Avant de se lancer dans un périple aux alentours de la Méditerranée, ce lecteur public invite ce soir à un bal à lire
Avis à tous les hommes d'affaires las, ouvriers fatigués, mères, de familles agacées, adolescents pas concernés, amoureux peu motivés... Il existe depuis quelques années un nouveau métier idéal pour se cultiver sans peine. Mieux : ce métier, si on en croit un professionnel, redonne souvent l'envie perdue ou égarée de lire, de se plonger dans un bon vieux bouquin, juste pour le plaisir. Enfin, cerise sur ce gâteau littéraire qui n'a rien du pavé roboratif de la rentrée littéraire : Marc Roger, lecteur public professionnel, ne demande pas un centime d'euro à ceux qui l'écoutent dans l'exercice de son métier. Il lit, à haute voix et pour le plaisir. II lit, pour un partage total de l'écrit avec le public. Il lit, ni conteur ni comédien. Juste lecteur public, passeur de rêves et de mots.
Créer un lien
Pour s'en convaincre. le public arlésien découvrira même que l'on peut partager un "Bal à lire" ou une randonnée-lecture : de nouveaux loisirs, ouverts à tous.
On ne s'improvise pas lecteur public. Il faut un vrai talent pour attraper le public avec la voix, les mots, mais aussi parfois tout le corps : "On ne lit pas seul, il faut créer un dialogue constant" note Marc Roger. Pour autant, il travaille beaucoup en solitaire, pour digérer les mots, les mettre en bouche, savoir les transmettre en "servant de passerelle". Comme un traducteur en quelque sorte, et ce n'est donc pas un hasard si c'est avec le Collège des traducteurs que son association "La voie des livres" propose ce bal à lire. Le principe est simple : depuis deux ans Marc Roger et son équipe ont choisi des textes d'auteurs méditerranéens. Ils vont les lire. Et puis ils vont laisser la place à la danse et à la fête. Et relire encore.
"C'est physique de lire" dit encore Marc Roger, qui a vécu mille aventures à la rencontre des autres, par livres interposés. Mais cela ne lui suffit pas : dimanche, en entraînant ceux qui le souhaitent dans une randonnée-lecture, il fera les premiers pas d'un périple qui va le conduire dans tout le bassin méditerranéen. 5 000 kilomètres au total, avec femme et enfant, photographe et 200 kilos de livres : de centres culturels en librairies, d'oasis en ambassades, il lira à ceux qui veulent l'entendre des textes associés à l'idée de délices. La liste est longue et savoureuse, et il faudra un an, tout rond, pour boucler la boucle. Après ? Il écrira peut-être. Ou lira encore : c'est ce qu'on se souhaite. Très égoïstement.
Silvie ARIES
*Ce soir, à 20 h 30 à la salle des fêtes ; demain, à 10 h 30, place de l'Hôtel de ville.
Fête du livre
Des pages qui donnent des fourmis dans les jambes
(La Provence - lundi 20 octobre 2003)
Ils ont marché, lu, grignoté et surtout écouté : la première randonnée littéraire arlésienne est un succès
Il est possible qu'hier, le bout du nez encore gelé par la balade dans le froid qui allait croissant, l'un des randonneurs venu découvrir les vertus de la littérature et de la marche à pied conjuguées, se soit laissé aller à quelques notes, jetées sur un cahier. Quelques notes pour se souvenir de cette journée un peu particulière : celle où 80 personnes venues de toute la France se sont retrouvées pour une randonnée littéraire. Munies de solides chaussures, de sacs à dos, d'un pique-nique et de livres, elles ont découvert ou redécouvert que la lecture à voix haute est une science à part entière. Mieux : qu'elle est un mode d'expression salutaire, aussi utile parfois, que peut l'être la traduction, littéraire au sens où elle rend curieux, ouvre des portes et les esprits.
En préambule
Alors le randonneur-écrivain aura d'abord noté dans son carnet, que tout a commencé en fait samedi soir, par un "Bal à lire". Soit une fête où 150 personnes se sont pressées, curieuses d'entendre et de danser, de se rencontrer et de faire la fête, autour de Marc Roger (voir notre édition de samedi). Certains ont été un peu déçus : il faut accepter l'idée que l'on impose un texte, et de laisser les discussions à plus tard. Pour les autres, qui ont dansé ensuite, les textes d'auteurs méditerranéens ont été autant d'invitations au voyage et à la découverte de nouveaux écrits.Tous ou presque, n'ignoraient pas qu'ils célébraient aussi, le départ de ce lecteur public, Marc Roger, tête de boy-scout et voix splendide, qui s'en est allé dès hier. pour un tour de Méditerranée littéraire. Et, précisément, la randonnée d'hier marquait aussi, ses premiers pas.
Premiers chapitres
Le premier chapitre de cette épopée qui doit durer un an, a débuté vers 10 h 30 : vent frisquet mais moral en béton, chacun a effectué "une minute de lecture" tirant son bouquin de sa poche. Puis est venu le départ vers Fontvieille et par les chemins buissonniers : au fil des pas, les langues se sont déliées, on a parlé... livres (entre autres).
L'étape suivante a été savoureuse, à l'auberge de Montmajour : après quelques nourritures terrestres et toujours dans le froid, les deux complices de Marc Roger, Hélène Lanscotte et Frédérique Bruyas, ont fait découvrir l'art du Kamishibâi : le lecteur se cache derrière le livre (pour enfants essentiellement), et lit le texte photocopié derrière en tournant les pages pour son auditeur. On aura découvert alors, que les contes pour enfants font rire les adultes, et qu'il faut pour être lecteur public un talent de diseur, un profond respect du texte et une bonne dose d'humour.
Ne reste à Marc Roger qu'à rédiger les prochains chapitres de son épopée méditerranéenne : le randonneur-écrivain pour sa part, est rentré écrire les premières pages d'un rhume carabiné, après une ultime pause au Moulin de Daudet.
Silvie ARIES
Sarajevo, mercredi 10 décembre 2003
(BIBLIOthèque(s), revue de l'Association des Bibliothécaires français, n° 13, février 2004)
Depuis le 18 octobre, au départ d'Arles, il y a eu des lectures à Aix, Marseille puis à Viareggio, Rome, Ancone, Split, en Croatie. Ensuite, Poljica, Mostar et... Sarajevo, ville de douleur qui n'épargnera pas nos voyageurs, Marc, le lecteur-marcheur, Corinne, sa femme, et leur fils Tom, puisqu'une fâcheuse mésaventure remet en cause leur tour de la Méditerranée.
Le liseur de bonne aventure
(Sélection du Reader's Digest - novembre 2003)
Cet homme - Marc Roger - est inouï !
Il s'installe sur une place de village, devant un café, au milieu d'un marché... et lit un livre à haute voix. Les passants s'arrêtent. Intrigués d'abord - " regardez moi cet hurluberlu ! " - ou charmés. Mais finalement toujours reconnaissants de ce rendez-vous impromptu avec la littérature.
En 1997 Mare Roger a sillonné la France à pied, ses livres en bandoulière. Aujourd'hui, et jusqu'en octobre 2004, il arpente le pourtour méditerranéen ! Vingt pays à traverser, 6000 kilomètres (15 à 20 par jour), des millions de mots répandus aux quatre vents de l'Italie, de la Croatie, du Liban, de l'Algérie, de l'Espagne... avant de revenir en France.
Façon poétique de se pencher sur notre berceau commun.
Lire, marcher
Doctobre 2003 à octobre 2004
"Sur les chemins dOxor""J'ai la nostalgie d'une de ces vieilles routes sinueuses et inhabitées qui mènent hors des villes... une route qui conduise aux confins de la terre... où l'esprit est libre..."
Henri David Thoreau, auteur de Ballades et apôtre de la marche quil pratiquait comme un exercice spirituel, aurait sûrement participé à cette aventure :
Lire à tous vents
Avec Arles comme point de départ de son parcours autour de la Méditerranée (le 19 octobre dernier pendant Lire en fête), Marc Roger, lecteur public, sengage à accompagner des pèlerins du livre "Sur les chemins dOxor", destination imaginaire.
Son projet ainsi mystérieusement nommé (les premières syllabes dOccident et dOrient unies par le X, lettre du carrefour) a tout de lépopée : pendant un an, du mois doctobre 2003 au mois doctobre 2004, il fait le tour de la Méditerranée, alternant marche à pied et 4x4 (au coffre-bibliothèque bien rempli !).
Arriver quelque part en marchant change notre rapport au lieu visité, on le situe dans son contexte géographique, ce qui nest pas le cas avec les transports modernes qui nous parachutent dans des destinations en cassant le rapport au temps et à lespace.
20 rendez-vous littéraires avec les populations locales sont programmés en Italie,Croatie, Monténégro, Bosnie-Herzégovine, Albanie, Turquie, Grèce, Liban, Syrie, Jordanie, Egypte,Lybie, Tunisie, Algérie, Espagne.
Un tour soutenu par de nombreux partenaires institutionnels dont la Région Provence-Alpes-Côte-dAzur, qui a nécessité trois ans de préparation et la majorité des lieux sont prévus (librairies, alliances et centres culturels français etc. rémunérant ses interventions) même si une place est laissée à limprovisation, au hasard des rencontres
Lire Novecento : pianiste dAlessandro Barrico sur le front de mer de Carrare (Italie) donnera une dimension spatiale au texte, renouvellera son approche. Cest ce genre dexpérience qui donne de lélan à Marc Roger, qui envisage la lecture de Noces dAlbert Camus à Tipaza (Algérie) ainsi que celle en bilingue (serbo-croate et français) de Le pont sur la Drina dIvo Andric en Bosnie.
Toujours, il souhaite adapter ses lectures en fonction du lieu, des conditions découte de son public, des barrières de la langue
Un pari fou : lire et danser !
Pour fêter son départ, lassociation parisienne La Voie des livres, organisatrice de lensemble de ce programme, a proposé le 18 octobre dernier un "Bal à lire" aux arlésiens, en partenariat avec le Collège International des Traducteurs Littéraires dArles.
150 personnes ont pu se délecter de textes dauteurs méditerranéens dont Orhan Pamuk (turc), Mohamed Dib et Amin Zaoui (algériens), Dimitri Dimitriadis (grec), Italo Calvino (italien) etc. lus par trois lecteurs, dont Marc Roger, et cela en musique grâce au répertoire oriental du groupe Méditation de Montpellier.
Les mots grandeur nature
Le lendemain du bal, 80 randonneurs ont, pour le lancement de "Sur les chemins dOxor", glissé livre et pique-nique dans un sac à dos pour entamer une marche de 12 kilomètres en direction de Fontvieille.
Après une minute de lecture collective à haute voix pendant laquelle les randonneurs ont lu ensemble dans un brouhaha général, quelques extraits de Fahrenheit 451 de Ray Bradbury ont surgi sur le chemin.
Au pied de labbaye de Montmajour, un pique-nique truffé de lectures dalbums jeunesse ; et enfin, une fois le moulin de Fontvieille atteint, une halte finale autour des textes de Daudet.
Marc Roger, un personnage de roman à part entière !
Le trio de lecteurs a poursuivi son périple en Provence avec plusieurs escales : Aix en Provence, Eyguières, Aubagne et Marseille.
Pieds nus sur la moquette de la bibliothèque Méjanes, un micro-oreillette vissé à loreille, Marc Roger interpelle chaleureusement ses auditeurs et leur propose de choisir chacune des lectures parmi les livres posés à même le sol. Des titres sélectionnés en fonction dun critère principal : le bonheur de leur mise en bouche.
Il se définit lecteur public et non conteur : pour le premier, le livre prime, il ne sagit pas de "par cur" sinon on franchit la limite du théâtre. Le lecteur public, sil sexprime aussi par le corps, ne se dédouble pas comme un comédien. Le répertoire nest pas le même pour le conteur qui pioche dans la tradition orale.
Le déclic ? Un jour en 1992, alors quil lit Daudet et Maupassant dans une maison de retraite : le public est dans une effusion telle quil décide de renouveler lexpérience !
Son désir ? : laisser lauditeur imaginer.
Combien de lieux occupés, de jours de marche dans la France entière à lire ses textes favoris ? Colporteur, cyclo-rando-lecteur, les qualificatifs ne manquent pas pour désigner cet ancien instituteur inquisiteur de places de villages, de mairies, de cafés, infatigable marcheur, baroudeur littéraire avec en bandoulière sa générosité de lecteur dévoreur.
Le biblio-cycle (animation-lecture de proximité à vélo), le bal à lire, et aujourdhui "Sur les chemins dOxor", autant didées singulières qui distinguent avec caractère lassociation "La Voie des livres" dont Marc Roger est, depuis 1996, lanimateur talentueux.
Bon vent aux mots et aux marcheurs sous des cieux, on lespère, cléments !
Et rendez-vous à Montpellier pour un nouveau "Bal à lire" le 16 octobre 2004.
Pour les autres, sachez quun livre oxorien est en préparation.
topo courrier topo courrier topo courrier
topo n° 3 (Février 2004)
Courrier d'Oxor
Mostar, Bosnie-Herzégovine ,
dimanche 7 décembre 2003."De tout ce que l’homme, dans son élan vital, a érigé et construit, rien ne saurait à mes yeux surpasser les ponts. Ils sont plus importants que les maisons, plus sacrés que les temples car de portée plus générale…
Ils marquent les lieux où l’homme s’est trouvé confronté à un obstacle, symbolisant le désir éternel et insatiable qui pousse celui-ci à relier, réconcilier, unir tout ce qui surgit devant son esprit, son regard et ses pas, afin qu’il n’y ait pas de division, d’antagonisme, de séparation…"
Ivo Andric*
Le 12 novembre 1993, du haut de la folie, l’arche du pont de Mostar tombait dans les eaux vertes de la Neretva…
Quelques dix ans plus tard, Marko, croate catholique, résident depuis toujours du quartier musulman bosniaque de Zalik, me montre avec émotion le vieux pont qui renaît.
De quel côté que l’on soit de la ville, Est ou Ouest, cet homme ne peut faire un pas sans être respectueusement ou chaleureusement salué par les habitants des deux communautés. Il me semble marcher aux côtés de la "Chronique de Travnik" d’Ivo Andric incarnée dans les rues de Mostar.
Son beau visage rond aux cheveux grisonnants appelle aussitôt l’affection.
Directeur de l’école économique, il me reçoit dans son bureau. Il m’a préparé une sélection de vers croates et musulmans qu’il entend faire sonner en français auprès de ses élèves.
Après m’avoir dessiné à grands traits, sur l’imprimé d’un vieux bulletin scolaire, la géographie politique de l’après guerre, désireux de faire la nique aux nationalismes de tout bord, il me raconte de son petit air gourmand…"Juste avant que la guerre n’éclate, souhaitant changer la porte de la cour donnant sur mon jardin, je fais appel à un ouvrier musulman de ma connaissance. A la pause, je l’invite à boire un verre. Lui qui ne lit jamais, semble impressionné par ma bibliothèque. Quinze cent volumes se serrent là sous ses yeux.
M’avouant sous le sceau de la confidence qu’il n’a jamais pris le temps de lire le Coran, il aimerait bien repartir avec le petit livre vert qu’il aperçoit en évidence sur le rayon philosophie et religions.
Quand il repart avec, croyez-moi le sultan n’est pas son cousin…"Poussé par la violence des combats à demeurer de l’autre côté de la rivière, Marko ne verra pas avant longtemps la nouvelle porte donnant sur son jardin.
Manquant de tout, surtout de combustibles de chauffage, la population des deux bords brûle les livres, se procurant ainsi un maigre réconfort : celui du corps qui se détend un instant à la chaleur des flammes. La bibliothèque de Marko ; Dostoiëvski, Balzac, poètes croates, serbes et musulmans, part ainsi en fumée…Puis la vie reprend vaille que vaille, à Mostar et ailleurs en Bosnie. Marko retourne vivre dans le quartier de Zalik. La porte de la cour donnant sur le jardin est à refaire. Le même ouvrier musulman de sa connaissance reprend la tâche là o* il l'avait laissée. A la pause, la même soif le fait boire dans un autre verre que lui offre son employeur, mais le pauvre homme n’ose avouer à ce dernier ce que le geste l’aidera à dire. Il sort de sa poche le petit livre vert que Marko lui avait offert quatre ans plus tôt et lui murmure presque tête baissée "Je vous rends votre Coran Monsieur Marko et désolé, mais je n’ai pas eu le temps de le lire…"
En espérant qu’Ivo Andric aura le dernier mot.
"Tout ce qui exprime la vie – les pensées, les aspirations, les regards, les sourires, les paroles, les soupirs – tend vers l’autre rive, qui est son but, ce qui lui donne son vrai sens. Il y a toujours quelque chose à maîtriser, à surmonter : le désordre, la mort, l’absurde. Tout est passage, pont dont les extrémités se perdent dans l’infini, à côté duquel ceux de ce bas monde ne sont que jouets puérils, pâles symboles. Nos espoirs se situent toujours de l’autre côté."
*In Quantara, revue de l’Institut du Monde Arabe - Paris, avril 1994
Traduit du serbo-croate par Mireille Robin
Jamais assez de mots
(BIBLIOthèque(s), revue de l'Association des Bibliothécaires français, n° 16, octobre 2004)
A Médenine, petite ville de 5000 habitants du Sud-Est de la Tunisie, notre lecteur-marcheur s'émeut de l'écoute attentive des jeunes auditeurs à la lecture des poèmes de Rimbaud.
A Djerba, l'île voisine, il fait la connaissance d'une écrivaine en herbe, avide d'honneurs. Oxor, c'est aussi le voyage intérieur, la quête de soi, au gré des lectures, des rencontres, de l'écriture.
Sur les chemins d'Oxor avec Marc
(L'Indépendant, mercredi 22 septembre 2004)
Vendredi, la cité illibérienne accueille Marc Roger, lecteur public.
Parti en octobre 2003 pour effectuer un périple autour de la Méditerranée en marchant et en lisant, Marc Roger revient en France et plus particulièrement à Elne ce vendredi. Le public pourra le rencontrer et l'écouter à 10h30 sur le marché, place de la République et à 18h, à la médiathèque municipale.
Pendant près d'un an, Marc Roger accompagné de sa famille et d'un photographe a parcouru les chemins d'Oxor, d'Occident et d'Orient et a ainsi fait le tour de la Méditerranée en livres, à pied et à voix haute.
Lecteur public, il a souhaité prêter parole au répertoire jeunesse et au domaine adulte de la nouvelle et du roman contemporain du monde entier.
Ce véritable globe-trotter de la littérature a ainsi traversé l'Italie, la Croatie, la Bosnie, la Macédoine, la Grèce, la Turquie, la Syrie, l'Arabie, l'Egypte, la Libye, la Tunisie, l'Algérie, le Maroc et l'Espagne, avant de revenir en France.
Ce personnage atypique aura fait faire le tour de la Méditerranée à sa bibliothèque avec tous les risques que cela comporte.
Il se définit comme un "passeur de livres" : "J'éprouve de la sensualité et du plaisir à être dans la lecture des autres. Je suis un passeur de livres ".
Après 6 000 km parcourus a pied, Marc Roger a pour volonté première "l'humilité de lire le monde avec lenteur et d'écouter vivre les gens". Un rendez-vous à ne pas manquer.
J. L.